
La Presse — J’aime la marche. Je m’en offre quotidiennement une tranche plus ou moins copieuse. Je ne parle pas d’une marche « professionnelle », celle des sportifs qui l’exécutent à un rythme soutenu pour, à chaque fois, améliorer leurs performances précédentes. Celle que je pratique est nonchalante, vagabonde, même si c’est pour faire mon marché.
Jeudi dernier, jour férié, rappelons-le, pour cause de fête du Travail, je devais effectuer un saut à La Goulette pour y faire quelques emplettes. Depuis ma Byrsa résidentielle, cela représente une distance de près de quatre kilomètres que j’ai préféré couvrir en marchant plutôt qu’en empruntant les transports en commun, devenus très aléatoires dans notre belle banlieue. Et puis, pour se distraire autant que pour gamberger, rien ne vaut une déambulation en milieu urbain. En cours de route, en effet, bien des rencontres vous attendent pour attirer votre attention sur une multitude de sujets.
A l’aller, mon parcours s’est déroulé de manière on ne peut plus linéaire, en suivant l’avenue Bourguiba qui, pratiquement, traverse, rectiligne, la banlieue nord de bout en bout, en tout cas de La Goulette à Sidi Bou Saïd.
Dès le départ, mon attention a été attirée par ce jeune couple d’Européens qui longe l’asphalte dans la même direction que moi. Mais leur allure et leur tenue — sandales, short, lunettes de soleil, casquette et sac à dos — indiquaient nettement qu’ils n’allaient pas, comme moi, effectuer quelque course. Tout simplement, ils marchaient. J’en ai eu confirmation après en avoir croisé d’autres dans le sens opposé. Et puis d’autres petits groupes dans les deux sens. A leur hauteur, j’ai saisi des bribes de discussion en français, en anglais et en espagnol. Clairement, des résidents étrangers — probablement des diplomates — de notre banlieue s’étaient donné le mot, ce jour-là, pour se livrer à cet exercice. Et la question de venir automatiquement à l’esprit : mais où sont donc nos compatriotes en pareilles journées ? Que font-ils de si important qui les prive d’un loisir si bienfaisant ? En cours de route, j’ai vérifié que les cafés, en ce jour de congé, étaient bien remplis…
Cet épisode m’en a rappelé un autre qui remonte à 1975. A l’époque, j’habitais La Goulette. Je me rappelle qu’un temps, cette année-là, je voyais chaque matin des Asiatiques — je devais apprendre plus tard que c’étaient des Nord-Coréens —, probablement venus de La Marsa, qui se rendaient ainsi allégrement à leurs bureaux, à Tunis. Ils arboraient tous un large sourire nettement forcé et un badge à l’effigie de feu le « Grand Leader », le « Bien Aimé » dictateur Kim Il Sung. Ils ont effectué cette performance quotidienne pendant quelque temps en guise de défi pour exprimer leur amour au « Président Eternel », exploit qui a dû connaître un grand retentissement dans la presse de leur lointaine patrie bien-aimée qui devait leur être d’une grande utilité à leur retour au pays.
Et nous, qu’est-ce qui nous motivera pour, un jour, nous bouger enfin ?